Publié par CEMO Centre - Paris
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Roland Lombardi
Roland Lombardi

Libye : Erdogan peut-il aller au bout de ses menaces ? Pas si sûr...

samedi 04/janvier/2020 - 01:19
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Une lutte cruciale se joue actuellement dans le monde arabo-musulman entre deux blocs :
l’un composé de l’Egypte de Sissi, de l’Arabie saoudite de Mohammed Ben Salman et des
Emirats arabes unis de Mohammed Ben Zayed et l’autre, emmené par la Turquie et le Qatar.
Les premiers soutiennent dans la région les militaires et les pouvoirs forts et les seconds
souhaitent relancer la seconde phase des printemps arabes, à savoir, la prise définitive du
pouvoir par les islamistes (comme en Tunisie dernièrement).  
Si ces derniers ont connu ces dernières années une série de déconvenues suite aux fiascos  de
leur politique pendant ces fameux « printemps arabes », notamment à partir de la révolution de 30 juin en Egypte et surtout après les succès militaires et diplomatiques russes en
Syrie, Doha et surtout Ankara semblent vouloir réaffirmer leur influence dans la région, tout
en enveniment la fracture intra-sunnite actuelle.
C’est dans ce contexte qu’en Libye, justement, le président turc Erdogan, véritable « janissaire
géostratégique » du petit Qatar,  a annoncé qu’il était prêt à envoyer des troupes afin d’aider
le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj à Tripoli, soutenu par les Frères
musulmans libyens ! Tout ceci, pour contrer l’offensive du maréchal Haftar. Cette déclaration
a suscité de vives inquiétudes dans la communauté internationale.  
Pour autant, la Turquie a-t-elle les moyens de se lancer dans une telle aventure ?
De toute évidence, non ! Tout d’abord, même si les parlementaires turcs ont autorisé, jeudi
dernier, une intervention militaire de leur pays en Libye, il n’en reste pas moins que
l’opposition politique à Erdogan reste résolument contre. De même, si le « nouveau Sultan »
a consolidé son pouvoir depuis la tentative de putsch de juillet 2016, il demeure cependant
très isolé en interne (récente défaite de son parti aux élections municipales d’Istanbul par
exemple).
Par ailleurs, l’économie turque est au plus mal malgré les perfusions financières du Qatar.
D’autant plus, que depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, la politique
américaine a changé en Libye. Le président américain préfère ouvertement un maréchal libyen
à la tête du pays que le chaos ou un Etat dirigé par des islamistes ! Ainsi, Trump a condamné
et menacé Erdogan de représailles économiques en cas d’ingérence turque. On se souvient
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d’ailleurs, et Erdogan le premier, il y a quelques mois, des attaques américaines sur la monnaie
turque qui ont eu de graves répercutions socio-économiques...
Sur le terrain quelles sont les forces en présence ? N’oublions pas que le maréchal Haftar a
reconquit plus des deux tiers du pays. Que les zones pétrolifères sont entre ses mains. Enfin,
il est très populaire dans la grande majorité des Libyens qui en ont assez du chaos et que le
militaire a réussi à gagner le soutien des grandes tribus du pays, qui sont la clé pour une
résolution future du conflit. Sur le plan militaire, Haftar bénéficie de l’appui de la France
(même si Paris se veut discrète sur ce point) mais surtout de l’Egypte (qui a menacé elle aussi
d’intervenir si Ankara mettait à exécution sa menace), l’Arabie saoudite de MBS, des Emirats
arabes unis et moins connu, d’Israël, qui vient de signer un accord gazier historique avec les
grands rivaux de la Turquie, à savoir, la Grèce et Chypre ! Enfin, n’oublions surtout pas
qu’Haftar est souvent présenté comme « l’homme de Moscou » ! En effet, la Russie soutient
le maréchal libyen par l’envoi massif d’armes, de drones, de conseillers voire même de
miliciens privés !
De fait donc, une action turque en Libye serait assurément très mal vécue dans le monde
arabe notamment pour des raisons historiques (occupation ottomane). Elle serait
inévitablement condamnée par la Ligue arabe. L’Algérie (autre partenaire de Moscou) a déjà
mis en alerte son armée à la frontière... Surtout, pour un Erdogan, isolé diplomatiquement en
Europe et au sein de l’OTAN, il serait par ailleurs très mal venu de se froisser avec le
« partenaire » russe. Car justement, l’offensive d’Assad et de son allié Poutine contre la
dernière poche rebelle d’Idleb est peut-être à rapprocher des dernières velléités de puissance
de la Turquie en Méditerranée. Devant, la chute prochaine de cette ville, Erdogan est en train
de transférer les derniers jihadistes syriens sur le théâtre libyen. Annoncer son intention
d’intervenir directement pour soutenir Tripoli, est sûrement un moyen de rassurer et motiver
tous les islamistes en mal de terres de « conquête »... Mais au final, Erdogan et surtout son
armée sont-ils réellement prêts à s’opposer de nouveau à l’armée russe ? Pas si sûr. Car ne
nous faisons pas d’illusion. Une fois le dossier syrien en partie « réglé » et dans le contexte
régional actuel avec la conjonction d’éléments positifs pour elle (impuissance de l’Europe,
blanc-seing de Trump et soutien de l’Egypte, des EAU, de l’Arabie saoudite, de l’Algérie et
d’Israël), la Russie risquerait fort bien de répéter le scénario du 30 septembre 2015 mais cette
fois-ci... en Libye
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